Le troubadour périgourdin Arnaut Daniel a inventé la sextine à la fin du XIIème siècle.
Forme de « canso » originale, en 6 strophes de 6 vers comprenant non pas des rimes à proprement parler, mais des mots-rimes ; ceux-ci reviennent en alternance selon un procédé en spirale qui ressemble à l’hélice de la coquille d’un escargot, c’est dire si la nature est bien faite !…
Système de la sextine selon Arnaut Daniel. À gauche, l’ordre des rimes de la première strophe. Au centre, le système de rotation des rimes appliqué à chaque strophe. À droite, l’ordre des rimes des cinq strophes suivantes.
Selon ce rythme de succession des vers, une septième strophe aurait repris l’ordre initial des mots-rimes.
Dès lors, une « tornada » de 3 vers incluant chacun deux des mots-rimes conclut le poème, en guise d’envoi.
La répétition, les itérations, le déroulement lui-même du poème à travers ses « coblas » représentent un danger : il y a le risque de lasser le lecteur et de redoubler le discours.
Par contre, le potentiel est grand pour la créativité et l’épuisement d’un thème dans ses multiples variantes.
J’ai tenu à suivre la forme initiée par le poète de langue d’oc, en me permettant comme licence, s’il en est, de rédiger la première et l’ultime de mes sextines en vers de onze pieds, rappelant par cela même que le a final muet chez Arnaut Daniel pouvait créer l’équivoque entre déca- et hendécasyllabes. Par ailleurs, dans la sextine italienne, on retrouve aussi cette tendance à l’impair.
Mon propos fut renforcé par la puissance orchestrale de cette formule poétique, mon imagination a pu prendre aisément appui sur les pseudo-redondances et les rappels de discours, qui relancent le sujet et le tambourinent dans l’esprit du lecteur.
Contrairement à ce qu’ont prétendu au cours des siècles les détracteurs de la sextine, celle-ci ne blase pas, ne manque pas d’originalité ni de surprise, mais bien au contraire permet un développement quasi ludique du thème abordé et les trouvailles peuvent foisonner pour peu que l’on se décide à ne pas craindre les sonorités de l’écho qui aiment à imiter celles du chant.
Par souci de créativité et afin d’empêcher le figement du texte dans l’incompressibilité des règles, je me suis également autorisé à de certains moments l’extension des mots-rimes à leurs homophones.
Les mots restent de grands enfants, il faut les choyer.
La sextine évite ce jeu terrible de la chaise musicale, car chaque mioche retrouve sa place quand la musique s’arrête et aucun n’est éliminé.
N’est-ce pas bien plus équitable ?
